Oliver Rohe stigmatise, dans Le cadavre bouge encore, le mal du siècle : « La notion d’événement est au cœur du système médiatique. Comme l’a très bien analysé Karl Kraus il y a déjà un siècle, le journalisme a besoin de créer de toute pièce l’illusion de l’événement. Le journalisme est très clairement le premier producteur / consommateur d’événement. S’il n’en fabrique pas, s’il ne rompt pas artificiellement la relative « banalité » du monde, le journalisme crève de faim ». Tout comme le journalisme, le monde de l’édition ne recule devant aucune stratégie pour assurer la pérennité de son commerce. Rentrées littéraires à répétition, prix littéraires, premiers romans, nouvelles collections, tout est bon pour créer l’événement... Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter les brèves de la rubrique « Edition » du Monde des livres !
Michel Abescat ironise sur cette tendance, dans Télérama : « La «rentrée» littéraire de janvier, c'est un peu comme le beaujolais nouveau. Une belle opération de marketing. Histoire de donner un peu de corps aux ventes d'après-fêtes en relançant la machine éditoriale, et de rondeur aux rubriques spécialisées des gazettes. Pourquoi pas, après tout ? Rentrée de septembre, rentrée de janvier, rentrée de Pâques ou de la Trinité. En poussant le jeu, on pourrait même convenir d'appeler « rentrée » ce que l'on nommait jusque-là « sortie » d'un livre. Et la boucle serait bouclée ». Hervé Hugueny, quant à lui, se pose la question suivante, dans Livres Hebdo : « Pourquoi tant de premiers romans ? ».
En effet, l’année 2004 a battu le record absolu des premiers romans publiés à l’automne. La fameuse « rentrée littéraire » de janvier en annonce encore 64. A cet engouement, deux causes indissociablement liées : la création de nouvelles maisons d’édition ou de nouvelles collections – on y revient – et la quête de nouveaux talents « qui assureront la prospérité future de l’édition. Pour info, Hugueny rappelle qu’il y a dix ans, les nouveaux venus s’appelaient Vincent Ravalec et Eric-Emmanuel Schmitt… Teresa Cremisi, directrice éditoriale chez Gallimard, y voit plutôt un « regain de créativité littéraire ». Qu’on ne s’y trompe pas : le succès n’est pas toujours au rendez-vous : pour beaucoup de ces premiers romans, « les services de presse sont plus nombreux que les tickets de caisse » ; comme le rappelle Fabrice Piault, dans son édito, la réussite littéraire est la « quadrature de l’édition de création, pour laquelle le marketing est rarement d’un grand secours ».
Le 23 janvier 1835, un jeune inconnu, Alexis de Tocqueville, publie le premier tome de La démocratie en Amérique. L'ouvrage recueille un immense succès… Mais combien Stendhal avait-t-il vendu d’exemplaires d’Armance, son premier roman, paru en 1827 ? Très peu, si l’on considère son abnégation à écrire « to the happy few ». Il aurait 222 ans aujourd’hui… nous lui souhaitons un joyeux anniversaire !
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