Le Matricule des anges n°61 Mars 2005
Le problème avec les premiers de la classe, c’est qu’on n’a jamais grand-chose à dire aux parents au moment de la remise des bulletins. « C’est excellent », « qu’il ou elle continue ainsi », « elle ira loin »… que des poncifs, ceux-là même que l’excellent Thierry Guichard, du Matricule des anges, aimerait voir reculer dans la littérature contemporaine : « Mais à force de nous priver de la complexité des mots, ne sommes-nous pas en train de nous nourrir d’émotions et de pensées calibrées, grossièrement constituées des clichés les plus usés ? La littérature, évidemment, s’oppose à cela. Sa survie en dépend, elle qui n’est que langue ». On dirait du Taillandier, dans l’Humanité, qui conseille à Faïza Guene de mettre un bonnet rouge au dictionnaire des démagos : « Étrange, tout de même, cette tendresse ambiante pour les « jeunes » qui parlent ou écrivent pauvre. Étrange, cette approbation bruyante réservée aux jeunes auteurs qui n’ont pas l’air d’avoir lu avant d’écrire. Bizarre qu’on aime tant que vous vous exprimiez, vous les « jeunes », avec uniquement les mots de l’immédiat, avec « trop mignon », avec « kiffer », avec « tronche de cake », avec « ce type, il se la raconte », avec « mais bon », avec « c’est trop l’affiche », bref, les formules toutes faites et qui traînent partout. Voilà le langage jeune officiellement approuvé, celui qui met d’accord la Star’Ac, le Nouvel Observateur et votre directeur littéraire réunis. Voilà en somme ce qu’on veut de vous. Que vous parliez de votre cité avec les mots et les références de votre cité. Que vous n’en sortiez surtout pas. »
Chez les anges ce mois-ci, porté aux nues, Eric Chevillard, un des rares écrivains contemporains à trouver grâce aux yeux de Pierre Jourde, dans sa Littérature sans estomac… Mais aussi un portrait de Laurence Viallet, la jeune et jolie directrice de collection qui défraie la chronique du Rocher, le journal intime de Catherine Pozzi, la chronique de Gilles Magniont, qu’on adore ici au Coq.
Dans le kiosques aujourd’hui, le Lire du mois de mars, un jour après sa sortie sur son site internet… Des dossiers attendus – le spécial Russie et les extraits du nouveau Dan Brown, ce qui n’empêche pas Frédéric Beigbeder de se lamenter qu’on ne lise plus de romans. Beigbeder pris à parti d’ailleurs dans le courrier des lecteurs pour ses positions en faveur de la non- féminisation de certains substantifs. Je n’ai fait que survoler pour l’instant l’enquête du mois – Comment se faire éditer – assez pour constater que le nom d’André Schiffrin y était passé sous silence ! Quoi de plus normal pour un magazine qui appartient à Dassault ? On recycle un ancien papier du Figaro, paru fin janvier, sur le salaire des écrivains. Pour « dresser un panorama complet de l’édition en France », on s’en va rencontrer Samuelson, Houellebecq, et Anna Gavalda… Et pour achever le tour de Saint-Germain-des-Prés en 80 jours et 122 pages, on interview Bernard Frank et Albert Cossery, le plus germanopratin des écrivains que le grand public ne lit pas ! Alors pourquoi acheter Lire ? Pour rien… ou presque rien, pour la photographie sublime de Susan Sontag à la page 20 et pour ses mots, que le Coq ferait bien de méditer : « Méfiez-vous de ces gens qui se déguisent en cyniques ! C’est devenu chez nous le nouveau moyen de passer pour sage.»
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