Il serait intéressant de confronter ce que dit Imre Kertész de Berlin dans l’entretien accordé, en avril 2005, à François Busnel, rédacteur en chef du magazine Lire, et le papier qu’il avait écrit il y a presque deux ans pour la revue des Temps modernes consacrée à Berlin. A Busnel qui s’interroge sur les raisons de cet « exil tardif » à Berlin, pour un homme qui a connu l’horreur des camps de concentration, Kertész répond : « Je me suis souvent rendu à Berlin et j'ai toujours aimé les moments passés dans cette ville. En 2001, j'y ai effectué un assez long séjour pour écrire mon dernier roman Liquidation1. Magda, ma femme, s'est alors rendu compte que j'étais beaucoup mieux à Berlin pour écrire. J'y ai donc loué un appartement. J'aime les grandes villes, le cosmopolitisme. » D’autre part, la langue allemande qui, pour le Primo Levi de Si c’est un homme n’est qu’ « aboiements barbares », ne revêt pas aux yeux de Kertész les mêmes significations : « La langue allemande a souvent joué, dans ma vie, le rôle de passeur. S'installer à Berlin était devenu une évidence. Si l'on y réfléchit bien, ceci est valable pour beaucoup d'écrivains. Songeons à Kierkegaard ou à Tolstoï... Comme eux, beaucoup d'écrivains ont pu être lus dans le monde entier parce qu'ils avaient été traduits en allemand. Tel fut mon cas: j'ai commencé à être lu à l'étranger lorsque j'ai été traduit en langue allemande. Je ressens donc une forme de reconnaissance pour l'allemand. »
Ce paradoxe, que Busnel rappelle à l’écrivain hongrois - « Pourtant Berlin fut jadis la capitale du IIIe Reich » - Kertész l’avait déjà développé en un très beau texte, paru dans la revue des Temps Modernes en août 2003, qui s'ouvre sur ces lignes : "Il y a plus d'un an que j'habite principalement à Berlin et il me semble que cette ville finira par devenir ma patrie d'adoption.
"Pourquoi justement Berlin ?" m'a demandé une dame lors d'un dîner à Stockholm, pensant sans doute à mon expérience des camps de concentration nazis."
Imre Kertész se livre à une analyse de son attachement à Berlin et termine son article par ce constat : "Berlin est aussi une ville littéraire. Comparée aux cultures française ou anglaise, qui se suffisent plutôt à elles-mêmes, la culture allemande a toujours eu un rôle d'intermédiaire entre les littératures de l'Est et de l'Ouest. [...] La route de la plupart des écrivains d'Europe Orientale passait par Berlin pour aller vers les autres langues, vers la littérature universelle. On sait bien que ce terme est de Goethe qui fut le premier à parler de "Weltliteratur". Mais qui a inventé la notion de "Weltstadt", "cité cosmopolite" ? C'est aussi un mot important, un grand réconfort pour les exilés, les globe-trotters et les apatrides-nés".
Imre Kertész, "Pourquoi Berlin ?" in Les Temps modernes n° 625, p. 17, sq
Merci pour cet article.
Je suis à la lecture du "Drapeau Anglais", chez Actes Sud et votre article m'a fait sourire: je ne connaissais pas ce papier des "Temps Modernes". Et pour cause, je faisais mes études à cette période à Cottbus!
Ceci ne fait rire que moi.
Tant pis.
Bon week end.
Au plaisir de vous lire
Rédigé par : dash | 29 avril 2005 à 17:48