Ça commence comme une chanson de Juliette Gréco : comme elle, Hémisphère « hait les dimanches ». Mais pour le dire, elle ne le chante pas, elle le blogue par-dessus les toits : « Ne sont finalement bénis en ce jour anathématisé que les amants neufs qui se coupent derrière des volets clos. Leurs ébats répétés prennent langoureusement le temps de ne plus savoir celui qu’il fait de l’autre côté ou l’heure qu’il montre. Ha, bienheureux ces chanceux dominicaux qui s’offrent le luxe d’échapper à la règle du miroir social que la date impose ! A croire que cette journée a été inventée pour ceux qui la méprisent. Croyez moi. Moi j’ai besoin de le croire. »
Car même les adeptes de la paresse ne sont pas au summum du bonheur. Ce vice ne se délecte bien que lorsqu’il est privilège. Il ne suffit pas de rien faire, encore faut-il que le monde s’agite autour. Il n’y a réellement que le lundi où l’on puisse goûter aux joies de l’oisiveté. » Le ton est donné : il y a bien plus que de l’humeur dans ces billets là, il y a du style. Le Lieu ne devient commun que dans la langue du vulgaire. La belle bicéphale a des ressources : une tête qui écrit et une tête qui photographie. Hémisphère est à la recherche de sa moitié : le pendant de l’écriture c’est la photographie, on l’aura compris. Mais celui de la femme ? L’homme ? Peut-être … Alex qui a cinq ans et demi, Marc-Alex, l’ami disparu au début de l’année 2005, après qu’elle a écrit une lettre de rupture à l’année 2004, et à ses cortèges de malheur. Mais pas le père, pas l’automobiliste, pas le bagarreur, pas l’amant dans une « trop grosse voiture flambante » et « dans un costume que vous n’aimez pas. » Aux costumes croisés, Hémisphère préfère les « manteaux, tout mangés des vers » : l’ivrogne et son « chemin de croix », Jean-Jacques, le mendiant de tendresse et de pain : « « Mademoiselle, merci de vous être arrêtée. Grâce à vous j’ai parlé à quelqu’un et je vais manger ce soir. Un jour je vous le promets, c’est moi qui vous inviterai à dîner.
Toute honte bue dans les bars qu’elle écume, Hémisphère a le vin « tristement splendide », qu’il soit celui des amants ou celui des pauvres. Qu’elle écrive des post-fleuves ou qu’elle retourne à la source de tous les maux en enfermant ses mélopées en des « Texticules », son écriture est celle des Tombeaux mallarméens.
Chez Hémisphère, la poésie n’est pas « post(e) restante », elle niche au cœur du post, elle est « poestie ». Ecriture de la colère, les mots sont malmenés, (ré)inventés. S’attaquer aux lieux communs, c’est s’en prendre aussi à la réalité, celle des amis perdus de vue et retrouvés devant un écran de télévision, celle des couples qui « se connaissent trop et qui ne se connaissent plus »… Au bar-tabac des posts des Martyrs, on se souvient. Pour celle qui signe M.R, il faut savoir sortir de l’FMR et de l’instantané du post : « Que ferons-nous si nous nous asséchons en pliant sous l’éphémère? » Autant de remémorations qui s’en retournent à ce qu’elles étaient à l’origine, des commémorations de moments ou d’êtres perdus. Hémisphère décline sous sa plume ailée et zélée le paradigme de la colère dans son entier, les coups de gueule du quotidien comme les colères divines. « Nom de moi ! » s’écrie Dieu. « Mais c’est quoi ce foutoir ?? »
Il s’assied dans un immense fauteuil un peu bancal et saisit avec mille précautions le globe entre deux doigts. De son œil le plus grand il scrute. Les gnomes fourmillent dans le moindre arrondi. Ils ont tout envahi, comme la gangrène sur une jambe pourrie, comme le désordre dans une chambre d’adolescent. Ils s’activent sans repos, vont à droite, puis à gauche, retournent au nord, font rebrousse avis. Ils produisent un bruit à en crever toutes les voies lactées (…) Alors Dieu veut réduire ce globe en une poussière destinée à errer dispersée. Il veut faire disparaître cet échec, reprendre tout à la vermine puisque de tout elle ne fait que des maux. Il augmente donc peu à peu la pression entre ses deux doigts.
Mais aucune implosion ne s’esquisse.
Il force de tout son pouvoir, y enfonce un ongle déterminé, beugle en comprimant entre ses paumes, tente de piler du talon, rage de broyer, de moudre, de pulvériser.
Mais rien ne s’ondule sur l’écorce du globe. Les gnomes ne semblent pas sentir la moindre bise dans leurs épis crâniens. Rien.
Alors Dieu comprend. Il chuchote dans un soupir plus mince qu’un filet désespéré, plus ténu qu’un ru qui s’assèche. « Merde. Je n’existe pas. »
Pour suivre le fil d’Hémisphère, de ces femmes perdues et retrouvées au labyrinthe des mots, il faut que « les amours défuntes nous laissent les oublier. » Chez Hémisphère, les anges sont plaie d’or. Et ils ont un sexe : « Hélène, l’éternelle »… ou l’ange croisé à l’angle d’une rue, aux aile repliées sur lui-même et au sexe mou qu’il exhibe. Le monde est aussi monde parce que l’ange déchoit et déçoit. Hémisphère sait l’art de la chute du noble dans l’ignoble… Et ses liseurs ne s’y trompent pas, qui viennent chercher « l’émotion » sous sa plume « trempée de tendresse »… Les commentaires sont à la hauteur de la verve hémisphérienne pour ceux qui savent que les mots sont la source de tous nos maux (et inversement). Au final, notre Père qui êtes aux cieux, restez-y, et nous, nous resterons sur la Terre où vous nous avez mis, celle d’Hémisphère : « Pardonnez nos défonces, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont défoncés. »
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Bravo à vous toutes :)
Rédigé par : nico | 02 mai 2005 à 20:22