Les lecteurs avisés qui se seront déjà procuré le premier numéro du Journal des lointains , la « revue voyageuse » dirigée par l’écrivain Marc Trillard, n’apprendront rien en lisant le billet publié ce matin par Yahoo qui dénonce la « montée de l'insécurité en Haïti » : « La Minustah, chargée de sécuriser le pays, fait l'objet de critiques croissantes et sa "passivité" est dénoncée.(…) Invité vendredi à une conférence-débat par la Chambre de commerce et d'industrie haïtienne, le général brésilien Augusto Heleno Ribeiro, commandant des Casques bleus, a été la cible d'attaques directes pour sa méthode jugée "inefficace" à combattre le banditisme et la criminalité. » A l’occasion de son dernier séjour à Port-au-Prince en 2004, année de la célébration du bicentenaire de l’indépendance du pays, l’écrivain Louis-Philippe Dalembert, haïtien d’origine, a précisément décrit le délabrement de la république haïtienne et les errements de la Minustah, la Mission de stabilisation de l’ONU en Haïti.
Arrivé à Port-au-Prince trois jours seulement après le début de « l’opération Bagdad », Dalembert livre de cette « opération capitale morte » un tableau saisissant :
« Tout est mis en œuvre pour y parvenir : fausses rumeurs à la radio, tentatives d’intimidation, coups de feu tirés en l’air et parfois dans le tas – tous les jours, on ramasse des morts dans les rues – pour forcer la population à rester chez elle et prouver l’incapacité du gouvernement de transition à contrôler la situation. L’incapacité aussi des soldats de la Minustah, censés assurer la sécurité dans la république de Port-au-Prince et dans le reste du pays. Le mot « Bagdad » dans cette nouvelle opération des partisans d’Aristide a une signification bien précise : les membres de la police ou les adversaires trop zélés de l’ancien régime qui se font attraper ont la tête tranchée, comme ils l’ont vu faire à la télévision ou sur Internet par les rebelles irakiens. Avatar de la mondialisation, dans un pays qui n’a que quelques heures d’électricité par jour pour rester en contact, via câble ou satellite, avec le monde.» L’impuissance militaire du contingent de la Minustah n’a d’égal que le relâchement de ses mœurs et… de ses sphincters : « Parmi le petit nombre qui peut investir les supermarchés et stocker chez soi des produits pour la plupart importés, il y a les soldats de la Minustah auxquels la population reproche d’être venus faire du tourisme, sexuel pour certains – on les voit traîner dans les bars, à la plage ou au r restau avec les petites Haïtiennes -, de passer leur temps à siffler de la bière au lieu de s’activer pour mettre un terme à l’insécurité (…) Selon la rumeur, à force de se nourrir à l’étal des vendeuses des rues, dont l’hygiène n’est pas le souci premier, la chiasse aurait cloué les soldats de l’ONU sur leurs lits de camp. C’est ce qui expliquerait leur passivité devant les actes de brigandage perpétrés par les sbires d’Aristide. »
La situation s’est à ce point dégradée que certains Haïtiens « regrettent de plus en plus ouvertement le départ des soldats américains de la Force intérimaire multinationale, les premiers arrivés, avec les Français, pour convaincre Aristide de s’en aller » : « L’inefficacité des forces de la Minustah est dénoncée dans toute la presse. A la radio, la télévision, dans les journaux, les cercles d’amis, le débat fait rage. Les critiques sont telles que leur commandant, le général brésilien Augusto Heleno Ribeiro Pereira, doit monter au créneau. » Ribeiro Pereira aura-t-il expliqué, vendredi dernier à la Chambre de commerce et d'industrie haïtienne qu’« il n’ y pas tant d’insécurité que ça en Haïti », comme il le maintenait à l’époque où Dalembert n’en finissait pas de découvrir, avec stupéfaction, l’agonie de son pays ? A coup sûr, il ne sera pas parvenu aux mêmes conclusions que l’écrivain, qui ne mâche pas ses mots : « Aucune condamnation ne pèse sur cette terre qui a vu deux siècles auparavant, des esclaves s’opposer à l’une des plus grandes puissances de l’époque et lui arracher leur liberté. Cela ne s’est pas fait trop tôt, comme le veulent les mauvaises langues. Il n’est jamais trop tôt pour conquérir la liberté et la dignité de l’homme. Après, il s’agit pour les héritiers de ne pas s’endormir sur leurs lauriers. Et ça, plus tôt on le comprendra, plus vite on se débarrassera de la présence des soldats d la Minustah. Cette occupation qui ne dit pas son nom. »
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