«C'est un fou. Il s'est entouré d'anciens pour ressortir de vieilles histoires puis il a brodé.» Ce fou, selon Paul, un habitant du hameau de Lussaud, ce fou donc, qui a osé s’adonner à l’art de la fiction - « ressortir des vieilles histoires et broder », image qui en rappelle une autre, barthésienne celle-là, du texte-tissu - c’est l’écrivain Pierre Jourde. Et soyons-en certain, celui-ci n’a pas fini d’en découdre… L’histoire est connue, c’est à peine s’il est utile de la rappeler ici. En vacances avec femme et enfants dans le village de son enfance, dont il s’est inspiré pour écrire son roman Pays perdu, Jourde est pris à parti par une poignée de villageois. Insultes et agression physique s’ensuivent. Je n’aurais certainement pas cité cette affaire, suffisamment médiatisée çà et là, si par hasard, relisant Un siècle de Goncourt d’Olivier Boura, en vue de l’écriture de papiers futurs, je n’étais tombée sur ces lignes :
« Tout cela remuait chez beaucoup des souvenirs pas si lointains. Des histoires de familles, ou les souvenirs de la guerre. Les privations. En même temps, ça se passait dans une région perdue, un bled exotique. A la traîne. Les Cévenols d’ailleurs, ne s’y trompèrent pas : on dit qu’un maire, fou de rage à l’idée de passer, avec ses administrés, pour un arriéré, brûla le livre en place publique. » Nous sommes en 1972, Jean Carrière vient de recevoir le prix Goncourt pour L’Epervier de Maheux… Ces « faits divers littéraires » rappellent qu’écrire, c’est toujours se mettre en danger, et que les « cornes de taureaux », selon la métaphore leirisienne, sont nombreuses : vindicte populaire, rage des critiques ou des proches, autant de menaces pour l’intégrité de celui qui écrit. Il y a quelques mois, la journaliste Anne Crignon s’intéressait pour le Nouvel Observateur aux « ravages » causés par la littérature : « Méfiez-vous des écrivains, lorsqu’elle vampirise des proches et entre dans l’intimité d’une famille, d’un couple, la littérature peut faire mal, très mal. Elle peut même tuer. » Ne faudrait-il pas plutôt se méfier de ses lecteurs ? A coup sûr, une telle paranoïa signerait l’arrêt de mort de la littérature… Triomphe des Bartleby en tous genres, victoire de la page blanche…
P.S : Qui oserait dire que cette histoire, au moment de la promotion de son dernier roman, Festins secrets, « tombe à poing nommé », pour celui qui est habitué aux volées de bois vert ? On peut, comme le fait Jérôme Garcin, s’interroger sur « la violence que, à Saint-Germain-des-Prés comme en Auvergne, ses ouvrages suscitent. » Josyane Savigneau ne l’avait-elle pas menacé, à la suite de la parution de Petit déjeuner chez Tyrannie, d’un « coup de pied dans les couilles » ? Autre point commun entre ces deux affaires, un procès est en cours. Et peut-être que Jourde parviendra même à faire d’une pierre, reçue en pleine figure, deux coups, comme il le confie à Garcin : « Cette expérience me poussera peut-être à en faire un livre. »
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