Ballets oniriques
"Nous avons tous du génie dans la position horizontale et les yeux clos". Cette très jolie phrase articule les deux axes du récit. Dans cette attitude d’abandon, le rêveur et le baiseur se donnent le change. Steve Masson, parvenu à cet âge où l’on se retourne sur son passé, en exhume le "vert paradis". Y règne en maîtresse toute-puissante la figure charismatique de Germaine, la nourrice du Stève qui va devenir la grande initiatrice, cette femme à l’aune de laquelle toutes les autres seront passées au crible. Pour celui qui "ne fait pas l’amour mais qui est fait par l ‘amour", les rêveries érotiques s’entremêlent comme les corps étreints, aimés et perdus. Le temps présent de l’écriture se laisse envahir par les images des femmes du passé, jusqu’à rendre indistinctes celles qui relèvent du réel et les autres, celles du rêve : "Mes jours vécus et imaginaires s’accordent si étroitement que je m’avoue incapable de les distinguer". Ce qui sauve Steve de la médiocrité de la vie vécue, c’est cette capacité à "doubler" son existence : "A chaque événement, ou presque, nous ajoutons un double, après l’avoir rectifié. Je veux dire : la même scène, mais dans un monde sans défaut."
Déjouer le temps et la corruption des corps, stopper l’écoulement "du mortel sablier", c’est aussi la quête poursuivie par Hardellet ; ce livre qui s’ouvre comme "une boîte à mélancolie" est à la fois une épiphanie du monde du sexe, en même temps que sa Vanité. Toutes les tonalités s’épousent pour glorifier la femme originelle, pour déclamer cette ode à la femme mère et maîtresse, "lourde et lente" à la Ingres, comme les odalisques des bains turcs. Ecrire aussi pour retrouver le berceau de ses origines : "Qu’exigeons-nous du ventre d’une femme, sinon le plus somptueux dérivatif à notre misère d’être au monde ?". La langue est belle, oscillant entre un lyrisme très bucolique, plein d’une tendresse nostalgique, et un argot des plus crus, "par pudeur" comme le dira Stève… manière de traquer les impostures du langage, de réduire ce fossé entre "des morts à qui on a coupé la langue et des vivants qui se taisent". En même temps, un ton très revendicateur et politique, avec en arrière-fond cette utopie de la révolution sexuelle reichienne ; "La révolution se fera aussi grâce à la main, la douce main de ma sœur dans le pantalon du militaire."
A noter, un bref rappel historique du procès qui a opposé Hardellet à la "Ligue de défense de l’enfance et de la famille", ainsi que des lettres, très intéressantes, échangées par Hardellet et ceux qui l’ont défendu : Pierre Seghers, Hubert Juin, Jean-Louis Bory, René Fallet…
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