« Personne n’a inventé de bombe plus meurtrière que la pauvreté". Pour Béla, jeune hongrois né en 1912 à la campagne, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Sa mère, abandonnée par son amant d’un soir, le lendemain de la conception de l’enfant, laisse à son tour le tout jeune bébé aux mains d’une nourrice partiale, pour aller travailler à la ville et s’occuper des "enfants de riches". Béla, sauvé de l’illettrisme par un maître d’école engagé, va rejoindre quelques années plus tard sa mère à Budapest et va rentrer d’abord comme liftier dans un palace pour gravir les échelons au gré des humeurs et des caprices des "belles clientes de l’hôtel"…
Roman écrit à la première personne, qui se donne des allures d’autobiographie, L’enfant du Danube regorge de personnages éminemment romanesques et de scènes-phares, cocasses ou tragiques, souvent très émouvantes – dois-je avouer que plusieurs fois les larmes me sont montées aux yeux… C’est une expérience de "lecture totale" : à la fable du roman d’initiation se superpose une réflexion historique, l’individu et l’Histoire vont l’amble.
Avec Székely, on est bien loin du roman français contemporain, que d’aucuns taxent de "nombrilisme". Celui qui se rêve dès son plus jeune âge le Sandor Rozsa à venir, le Robin des Bois des Hongrois, voit son éducation sentimentale se heurter sans cesse à ses idéaux politiques, savamment distillés par un maître à penser énigmatique, Elemer. Si l’auteur sait à merveille tromper les attentes de son lecteur et se jouer des lois du genre et de tous les topos, entre les lignes, il se soucie de préserver intacte "la vérité historique". De nombreuses images sont convoquées pour dépeindre une Hongrie malade, dépecée, démembrée, après la signature du traité de paix du Trianon : pyramide inique, corps sans appendice, découpé en tranches comme un quartier de bœuf par des bouchers sans science ni conscience… Dans ce roman, la relation de Béla à son père me semble également très significative. "Notre jeune héros" - pour paraphraser Stendhal – souffre de sa situation de bâtard, de nombreux épisodes le soulignent… Sa situation familiale symbolise étrangement le sort de la Hongrie recomposée. Le thème de la faim est très présent tout au long de l’œuvre : la misère ne nourrit pas son homme, c’est bien connu, mais en plus elle lui colle à la peau. Si "la vie est une combine de tous les diables", la misère est une "combinaison" tout aussi diabolique. Combien de fois dans le roman Béla ne déplore-t-il pas que "l’habit fasse le moine ».
Et pourtant, au cœur de cette misère qui colle à la peau, de cette Histoire qui s’immisce dans l’histoire de chacun, Béla, poète de son existence, celui pour qui "la vie est écrite en hiéroglyphes" comme un grand poème, s’accroche à ses rêves pour partir "chercher l’œuf de Pâques du bonheur qu’un dieu légendaire a peut-être caché quelque part, pour lui aussi" : "Il est bon de croire à quelque chose, même si c’est un peu fou". Ce quelque chose, c’est l’Amérique, l’amour, la concorde des peuples… effectivement c’est un peu fou, mais qui connaît de moteurs plus puissants que la folie ?
L’auteur reste méconnu, c’est dommage : un avant-propos à l’oeuvre, très éclairant, donne toutefois des pistes à ceux qui aimeraient en savoir plus.
J'ai adoré ce livre très puissant ....dommage qu'il ne soit pas plus connu
effectivement tout renvoie à la situation de ce pays suite aux traités de "paix" (qui ont conduit à la guerre)
Rédigé par : paul | 20 septembre 2011 à 19:35