"Elle me reflétait, je la reflétais : deux miroirs s’aimaient". Cette réflexivité du désir se mire dans une écriture qui traque pêle-mêle les émotions, les soubresauts, les défaillances des sens.
Dans un pensionnat de jeunes filles, à l’heure de l’extinction des feux et des secrets d’alcôve, les corps s’embrasent et les âmes s’illuminent. Thérèse et Isabelle ou le récit d'une idolâtrie partagée, quand les corps disent l’absolu de l’amour. Les fièvres de l’attente qui affament les amantes – "J’aimais : je n’avais pas d’abri. Je n’avais que des salles d’attente et des sursis entre les rendez-vous" - s’abolissent dans les pâmoisons de la jouissance d’être réunies. Cette fascination s’enracine dans l’évidence de l’amour, fusion archaïque – "nous l’avons fait de mémoire comme si nous nous étions caressées dans un monde avant notre naissance".
Le corps de l’autre est un paysage à explorer, qui prépare à une communion plus vaste avec la Nature. Dans les bras d’Isabelle, Thérèse vient au monde une seconde fois, celle qui se sent "trompée" par le mariage de sa mère est à nouveau "habitée", "fiancée" : "Je suis à Isabelle, je n’appartiens plus à ma mère".
La fin très abrupte augmente la grande beauté de cette confession. À vrai dire, et je ne sais pas encore pourquoi je m’y essaie, il m’est presque impossible d’écrire le moindre mot au sujet de ce livre, tant il m’a plongée dans l’insondable de l’intime et l’indicible du désir. À moins qu’il ne faille rechercher les raisons de ma quasi-aphasie dans cette ultime phrase : "Nous avons crée la fête de l’oubli et du temps. Nous serrions contre nous les Thérèse et Isabelle qui s’aimeraient plus tard avec d’autres prénoms."
Le récit de cette idolâtrie partagée, paru en 2001, est sa version intégrale, telle que Violette Leduc l’avait écrite à l’origine. Thérèse et Isabelle constituait la première partie d’un roman, Ravages, présenté aux Editions Gallimard en 1954. Jugée « scandaleuse », elle fut censurée par les éditeurs, Raymond Queneau et Jacques Lemarchand. La postface de Carlo Jansiti, très éclairante, revient sur « l’affaire » soulevée cette liberté de ton et d’écriture auxquelles aucune autre femme ne s’était jusqu’alors risquée.
Curieux comme votre post chère amie me rend aux souvenirs magnifiques laissés par le sublime film d'Ang Lee. Elles deviennent ils, mais le constat est le même voler quelques instants au temps, réinventer le désir et la communion dans un espace qui devient tout votre univers, trouver l'absolu dans le corps de l'autre. J'attends de lire la nouvelle d'Annie Proulx et je lirai également ce beau texte que vous nous offrez à découvrir.
Affectueuses pensées
Rédigé par : adeline | 23 janvier 2006 à 09:50