"Un jour où il se masturbait sur la place publique, il s'écria : "Plût au ciel qu'il suffît aussi de se frotter le ventre pour ne plus avoir faim !"" Diogène l’obscène, celui qui se livre à la vue de tous à un acte qui devrait être en dehors du regard d’autrui… Pratique qui met en péril l’autre mais aussi soi-même si l’on en croit Jean-Claude Guillebaud, selon les anecdotes qu’il relate dans La Tyrannie du plaisir, essai que j’affectionne tout particulièrement, au sujet des troubles (de la vue) engendrés par "l’amour fait avec soi-même" : "Dans son Journal, Benjamin Constant révèle qu’il gémissait en s’exclamant "mes pauvres yeux !" chaque fois qu’il se masturbait. Quant à Nietzsche, le docteur Eiser de Francfort, qui a reçu ce dernier en consultation en 1877 (lequel lui avoue se masturber souvent), écrira tout de go à Wagner que "compte tenu de la ténacité de ce vice", il y a peu d’espoir que Nietzsche retrouve jamais « un heureux équilibre optique". À n’en pas croire ses yeux, surtout lorsque l’on sait, après avoir vu film de Woody Allen, Annie Hall, qu’on ne se « moque pas de la masturbation ! C'est l'assurance de faire l'amour avec quelqu'un qu'on aime".
La littérature, dont l’une des vertus, à l’instar de toute œuvre d’art, serait de montrer/dire l’obscène, selon la définition qu’en donne Pascal Quignard dans Le Sexe et l’effroi (ob scaenum, ce qui est dérobé au regard), ne semble guère s’être intéressée à l’amour fait à soi-même.
Deux extraits… à lire d’une main distraite… en espérant, pour paraphraser Rousseau, dans ses rêveries du baiseur solitaire, que leur lecture rappellera la douceur que je goûte à les écrire :
"Elle sépare ses grandes lèvres de l’index et du médius de sa main droite. Une béance rosâtre, dégoulinante – un magnifique con d’Anglaise dans sa plénitude. La main gauche fouille, tâte, prospecte. Le clitoris pointe son petit museau coléreux. Elle y est. Elle se rencontre. Une championne. Lentement, méticuleusement elle se travaille la pulpe du médius, s’effleurant à peine. Elle s’appartient. Quelques gémissements. Son rideau de fer.
Il ne reste plus que nous deux sur terre. Un cataclysme vient d’anéantir l’humanité sauf elle et moi ; rien d’autre pour accepter la fin du monde qu’un plaisir porté au niveau du suicide. Sur les points culminants de la ville, les derniers guetteurs viennent d’être désintégrés. Elle se bat contre du noir, supplie une divinité inconnue, exige sa délivrance. Je l’encourage.
"Tu es vaillante, ma grande !
- Toi. Toi aussi.
- Après. T’occupe pas."
Ce silence – avec, à peine, le barbotement du doigt dans la mouille !
"Stève… Je t’avais promis… Je crois, ça commence.
- Essaie de regarder.
- I fuck myself."
En anglais, des mots hachés dont le sens m’échappe. Elle se démène, trépigne, secoue une invisible vermine. Sur le clitoris, son doigt a pris la rapidité vibratile d’une libellule.
La joie se plante en elle. Elle crie : Joyce, Joyce ! Elle passe la ligne, titube, s’abat sur le divan."
A. Hardellet, Lourdes, lentes, Gallimard, p. 69-70
Chez Catherine Millet, aussi, mais j'écourte le passage : après avoir décrit les scénarios qu’elle s’invente, elle raconte :
"Quand le moment est venu, l’esprit se vide. Exit les quinze étalons. Je grimace dans l’effort de concentration, remonte la bouche dans une vilaine moue ; une de mes jambes se paralyse, mais, désarticulation inattendue, j’ai quelquefois le réflexe de malaxer doucement un sein avec la main libre. L’orgasme est l’effet d’une décision. Si je peux dire les choses ainsi : je le vois venir. D’ailleurs, j’ai souvent, pour de bon, les yeux fixement ouverts, qui voient non le mur en face ou le plafond, mais une radioscopie fantastique. Si ça a bien marché, la volupté vient de loin, du fin fond de ce long boyau aux parois bosselées et grises, et elle se propage jusqu’à l’ouverture qui s’ouvre et se ferme comme la mâchoire d’un poisson. Tous les autres muscles sont relâchés. Il peut y avoir six ou sept vagues. Dans l’idéal, je reste un moment à faire glisser les doigts joints sur la vulve, puis je les porte sous les narines pour me délecter du parfum douceâtre. Je ne me lave pas les mains."
C. Millet, La vie sexuelle de Catherine M., Seuil, p. 212
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Rédigé par : dash | 05 février 2006 à 13:01
« Si je comprends bien, quand je lis sous votre plume : "Plût au ciel que vous vous fussiez mastiqué le mastodonte", ce sont en quelque sorte des regrets que vous exprimez en pensant aux hommes des cavernes qui sont morts de faim ? » (François Weyergans, Je suis écrivain, Gallimard, 1989, p. 13)
Rédigé par : Berlol | 06 février 2006 à 01:43
Rien n'est plus excitant qu'une femme qui se livre (ou disserte) à propos de l'onanisme ! Je me permets cependant, délicieuse Eli, de vous signaler un téléscopage peut-être intentionnel dans votre titre, celui de deux expressions : "lire d'une seule main" qui signifie en effet se livrer aux joies des plaisirs solitaires (pas toujours solitaires en fait...) et "lire d'un derrière distrait" qui est attribée à Jules Renard (à qui on fait crédit de toutes les plus belles perles tant il en découvrit) et à Henri Jeanson.
Je suis heureux de lire un extrait d'André Hardellet, qui est un auteur assez rare.
Permettez-moi de vous livrer de Jules Renard, justement, dont le journal est inépuisable, cette perle : "Aussi navrant que le "attendez que je mouille" d’une vierge".
A tantôt
Cercamon
Rédigé par : Cercamon | 06 février 2006 à 10:16