Le récit de Pierre Michon, La Grande Beune, vient de sortir en livre de poche. Pourquoi se réjouir ? Parce que Pierre Michon est l’un des plus grands écrivains français vivants ! Sa plume est celle d’un orpailleur. Paru à l’origine chez Verdier, éditeur au catalogue remarquable, La Grande Beune est l’un des plus beaux textes que je connaisse. Pour cette phrase, entres autres : « Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu’on les invente ; seules m’emportent les apparitions ». Education sentimentale et panthéisme amoureux…
C’est avec beaucoup de majesté que Pierre Michon dit ce monde aux confins de la Dordogne et du Temps, cet univers de chasseurs et de pêcheurs dans lequel il échoue, alors qu’il vient à peine d’avoir vingt ans, pour y prendre son premier poste d’instituteur. Un travail d’orfèvre, des phrases ciselées, polies à la pierre ponce de l’encrier, comme les galets roulés et charriés par la Beune. Une langue-bijou qui s’invente à chaque instant, sertie de néologismes et de créations lexicales, mais aussi une langue qui se souvient d’elle-même et s’enracine dans le terroir de ses origines. Michon ressuscite ainsi un passé immémorial, archaïque et dans le flux de ses phrases s’inscrit la continuité d’un Temps qui mène des grottes de Lascaux aux armoires vitrées des petites classes du primaire. Une écriture du désir aussi, qui façonne le monde à l’aune des émois du jeune homme, suscités par la beauté souveraine d’Yvonne : "Le monde était une chair blanche, un beau morceau", ce monde tout en contrastes, écartelé entre le pôle de la fluidité du féminin et celui de la rugosité du masculin. Récit minéral enfin, comme ces vins blancs qui roulent leurs cailloux sous le palais et enchantent les sens, ce condensé de Temps mis en bouteille ou couché sur la page blanche.
Commentaires