En février 2004, à l’occasion de l’ouverture du festival d’Angoulême dédié à la bande-dessinée, le magazine Têtu s’interrogeait : « La bande dessinée, toujours au placard ? ». Gregor Markowitz et Charles Roncier partaient du constat suivant : "Engoncée depuis les années 50 dans une frileuse culture d’autocensure, la bande dessinée continue aujourd’hui d’ignorer largement les homos, malgré quelques pionniers, comme Ralf König, en Allemagne, ou Fabrice Neaud, en France. Mais quand donc Batman et Robin vont-ils faire leur coming-out ?"
Il en va tout autrement au pays du Soleil levant : Les « yuri » sont des mangas qui mettent en scène des lesbiennes tandis que les « yaoi » sont réservés aux gays. Et personne n’y trouvent à redire, bien que ce type d’ouvrages soit en premier lieu destiné à un public adolescent ! L’amusant, dans l’histoire, c’est que lorsque ces même « yaoi » sont importés en France et adaptés, leur version est quelque peu expurgée. Un seul exemple : le couple d’homosexuels présents dans le mythique Sailor Moon deviennent des frères dans la version française ! Ainsi, Anne et Marine Rambach déplorent-elles dans La culture gaie et lesbienne qu’« au pays du droit d’auteur, du droit moral, on censure et on dévoie les œuvres pour en effacer les traces d’homosexualité. »
Le fait n’est pas nouveau : il est observable déjà à la Renaissance, quand les traducteurs français découvrent la poésie de Sappho.
Aucun volume de l’œuvre de la poétesse n’ a été sauvé de la destruction de la bibliothèque de Byzance, incendiée lors de l’invasion turque, en 1453. Mais grâce aux traités des grammairiens et des historiens grecs, qui citaient en abondance des vers de Sappho, une édition a pu être constituée par les imprimeurs humanistes d’Italie. Joan Dejean, cité par Marie-Jo Bonnet (Les relations amoureuses entre les femmes : XVIe-XXe) note : « Le XVI siècle ne se préoccupe que d’adapter à un protagoniste masculin tous les scénarios érotiques proposés par le premier poète du désir féminin. » Ainsi dans la traduction faite par Jean de Gessé de la célèbre Ode à Aphrodite, le pronom personnel « elle » devient « il » ! Contresens ou barbarisme ?
Le souci majeur pour l'adaptation de ces bandes dessinées nippones en France, vient de l'influence délétère de toutes les Edwige Antier en puissance, qui tiennent le même discours contre l'influence supposée délétère de l'homosexualité auprès des jeunes.
Cachez ce sein que je ne saurais voir, devient cachez ces amours adolescentes homosexuelles qui risquent de détourner nos chers petits de leur devoir d'hétérosexualité.
On a assisté à des contresens tout aussi problématiques avec l'adaptation au début des années 90, de nombres de mangas ultra violents, mais parfaitement intégrés dans la tradition japonaise, qu'on a, en France, destinés à un très jeune public. On a fait de ces dessins animés des trucs assez étranges avec des images particulièrement brutales sur lesquelles venaient se greffer des dialogues d'une incomparable stupidité.
De même les caviardages lors des tradutions des séries américaines en français pour effacer les allusions sexuelles jugées trop explicites.
Pays des droits d'auteur, yep, mais ils s'arrêtent aux portes d'une nouvelle forme de censure. Allez tous au japonais deuxième langue pour profiter pleinement de ces charmants bouquins...
Rédigé par : hecate | 10 avril 2006 à 18:17
Oui enfin...
Les yaoi c'est de la machine à fantasme stéréotypée pour faire baver les gamines et le yuri un genre très mineur. Derrière les apparences, la simple existence de mangas où figurent des homos ne préjuge en rien de l'abondance de la littérature homo jap et une littérature homo jap ne préjuge en rien de la situation effective des homos japs. Lesquels, il me semble, vivent plus cachés qu'en France, au delà de quelques folles télévisuelles. Le Japon est une société bien plus homophobe que la France.
D'ailleurs, un certain nombre de mangas lesbiens sont sortis l'année dernière, je n'ai entendu parler d'aucun problème (peut-être parce qu'ils étaient soporifiques). (Me parler de l'affaire de Neaud à Viroflay serait un coup bas :))
Au passage, le Journal de Fabrice Neaud est, allez, j'ose, le Proust de la bande dessinée.
Rédigé par : Baptiste | 28 mai 2006 à 22:12
Merci Baptiste pour cet éclairage...
Bien sûr, puisque c'est demandé si gentiment, je n'évoquerai pas ici l'affaire Neaud... mais pour ceux et celles qui ne savent pas de quoi il en retourne, je ne peux m'empêcher d'indiquer un lien qui éclairera leurs lanternes. Voyez comme je suis vos volontés tout en les contournant !
C'est ici
Rédigé par : Eli Flory | 29 mai 2006 à 11:22
C'est vrai que la yaoi (manga avec relation homosexuels) n'a rien de très sérieux et réalistes et ne se basent que les fantasmes des filles par rapport au genre (c'est fait pour elles ce genre de chose). Faut pas croire que ça intéresse le genre masculin ces mangas-là, ça vole pas haut, et ça ne montre en rien que les homosexuels soient bien acceptés au Japon. Au contraire, le yaoi est clairement haïe par de nombreuses personnes, mais c'est aussi peut-être parce que les fangirls sont obsédés à faire des couples yaoï sur tout et n'importe quoi.
Rédigé par : Za | 23 avril 2007 à 23:58