Au détour de mes lectures, je suis tombée en amour de ce texte très poétique de Violette Leduc. Il est inédit et a été publié avec l’aimable autorisation de l’IMEC, dans le recueil Attirances, édité aux éditions gais et lesbiennes. Le récit de la soirée que passent Violette et son amie Hermine au Fétiche, célèbre bar lesbien de Montmartre ( Chez Moune ou plus probablement Le Monocle) aurait dû prendre place dans La Bâtarde, édité chez Gallimard en 1964.
« Montmartre ce soir-là vivotait. Les enseignes calmes ou clignotantes éclairaient et indiquaient les boîtes de nuit par habitude. Hermine avait son tailleur souple en satin, son chapeau de daim polisson, ses mèches – parenthèses ouvertes plaquées sur ses joues, ses yeux vifs, son petit nez gourmand, sa santé en ébullition, son air de jeunesse au beau fixe a réveillé la rue du Fétiche. Les portiers, les uns après les autres, émergeaient des établissements, comme si ceux-ci étaient des cavernes. Ils nous racolaient, ils échouaient. Nous recevions l’étoupe de la musique de danse.
Une femme âgée vêtue d’un tailleur masculin, se voulant homme au paroxysme, nous a serré la main avec une poigne à se retrouver manchot :
- C’est gentil d’être venues nous voir…
Elle a ouvert la porte, soulevé la portière ; elle nous a poussées dans une chaudière de vitalité.
J’expliquai à Hermine qu’on dansait dans la salle du fond, dans un mouchoir de poche pour préciser. Une jeune femme s’est détachée du bar à droite, elle nous a accueillies avec courtoisie. Je me croyais dans le monde.
- C’est gentil d’être venues nous voir…
Elle nous a menées jusqu’à la table libre, dans l’angle, face au bar. Nous la dévorions à l’unisson. Quelle frangipane.
- Alccol ou champagne ? a-t-elle dit avec une voix un peu parente de celle de Greta Garbo.
J’étais interloquée.
- Mumm extra dry, a dit Hermine sans hésiter
La jeune femme a trop montré qu’elle se demandait comment un tailleur fait à la maison peut s’offrir du Mumm à Montmartre
- Des Camels, des Celtiques, a ajouté Hermine.
La jeune femme s’est inclinée devant l’argent, elle s’est rattachée au bar tout en parlant au barman et au serveur.
Nous explosions :
- Tu as vu son tailleur noir ? Son corps. Tu as vu son corps ?
- C’est une liane disciplinée. Tu as vu ses yeux ?
- Des ellipses. Je voudrais les voir à midi rue Popaincourt, rue Cambacérès…
- T’en fais pas : à midi, à minuit ces yeux-là c’est un coup de pinceau remontant…
- Jusqu’à … jusqu’à la Guadeloupe.
- Biniou ! Jusqu’à la Chevelure de Bérénice.
- Hermine ! Si je devais la montrer dans le ciel, je serais embarrassée. Tu te plais ici ?
- Je me sens fondre.
La jeune femme buvait dans un grand verre qu’elle ne soulevait presque pas du comptoir. Son avant-bras, son poignet s’enroulaient autour.
- Elle pêche des algues avec ses lèvres, a dit Hermine.
Le serveur nous servait le Mumm extra dry.
Nous revenions à la jeune femme. Elle se jouait de sa cigarette.
- Tu ne crois pas qu’un danseur espagnol a mis un rayon de lune dans sa chevelure ?
- C’est la gomina. Je te retrouve lorsque tu venais à Auvigny. »
plus JE RElis ce texte de ViolettE leduc, plus je DEcouvre à l'inTérieur de ces cOurtes phrases sèches et sInueuses des perles.....
Rédigé par : jane B | 02 mai 2006 à 13:07
Quand on est en amour, le monde se poétise, et l’autre est à déchiffrer… C’est un beau texte oui, plus beau encore quand il devient réalité. Car le rêve n’est toujours qu'une pâle copie de l'existence.
Rédigé par : Eli | 02 mai 2006 à 15:33
Violette Leduc a ce style (oui, là, on peut dire "style") inimitable que j'adore ! Merci pour cet extrait que je ne connaissais pas (et pourtant..)
Rédigé par : lheurebleue | 04 mai 2006 à 10:27
Quelle heureuse surprise, Lheurebleue... (un des plus jolis pseudos que je connaisse)! Je profite de votre présence ici pour signaler le dernier numéro du Matricule des Anges, qui consacre un portrait à la Christiane Veschambre que vous aimez !
Aussi, cette phrase que j'ai retenue de mes déambulations dans les librairies de mon quartier, ce matin : "Je rêvais de boire la vie entre nos lèvres jointes par un baiser. " N'y voyez pas une déclaration, mais cette image de Gisèle Coscas est si touchante que je vous la livre, sachant votre goût des mots.
Rédigé par : Eli | 04 mai 2006 à 13:38