« Je vais tenter d’écrire ce que me fut Harcamone et, à travers lui, ce que me furent Divers, et Bulkaen surtout que j’aime encore et qui m’indique finalement mon destin. Bulkaen est le doigt de Dieu, Harcamone étant Dieu puisqu’il est au ciel (je parle de ce ciel que je me crée et auquel je me voue corps et âme). Leur amour, mon amour pour eux persiste en moi où il agit et agite mes profondeurs et s’il est mystique, celui que j’eus pour Harcamone n’est pas le moins violent. Chez ces beaux voyous, je m’efforcerai de dire le mieux qu’il est possible, ce qui, me charmant, est à la fois lumière et ténèbre. Je ferai ce que je peux, mais je ne puis dire autre chose que « ils sont une ténébreuse clarté, ou une éblouissante nuit ». Ce n’est rien à côté du sentiment que j’en éprouve, sentiment d’ailleurs que les plus braves romanciers expriment quand ils écrivent « La lumière noire… l’Ombre ardente ?... », tâchant de réunir dans un court poème la vivante antithèse apparente du Beau et du Mal. Par Harcamone, Divers et Bulkaen, je vais encore revivre Mettray qui fut mon enfance. Je vais retrouver la Colonie pénitentiaire abolie, le bagne d’enfants détruit. »
J’étais jeune professeur, j’avais donné ce texte de Jean Genet, tiré du Miracle de la rose, à des élèves de première S, dans le cadre d’un groupement de textes sur les figures du prisonnier. Ma tutrice, qui assistait à mon cours, m’attrape par le col à la fin de l’heure et me passe un savon, éructante, dont je me souviens encore. Le choix de mon texte est très mauvais, je ne me rends pas compte de l’influence qu’il peut avoir sur les choix sexuels de mes élèves, d’ailleurs elle a bien remarqué le trouble causé par ma lecture sur un élève du dernier rang, sûrement « inverti ». Elle craint de se mettre tous les parents à dos, de scandaliser les jurys du Bac… Elle m’enverrait presque en prison, moi aussi !
Genet est mort il y a vingt ans, cette histoire en a dix. Peut-être aurais-je dû répondre à cette terroriste des lettres ce que Genet a répondu à Sartre quand ce dernier lui disait :
- Je ne comprends rien à la poésie
- Alors vous ne comprenez rien.
Au moment de la mort de Genet, c'était là que j'étais, en première S. Aux infos de 20H, ils ont parlé de sa vie, de ses livres. Je connaissais pas ce type, j'ai eu envie de lire. Depuis, il me tient toute mon écriture au chaud, il me tient chaud à chaque re-lecture. Il me fait mal aussi, mais c'est un mal qui fait tant de bien. J'écrivais déjà, bien sûr, mais Genet, c'était comme me dire que ça vallait le coup. Personne n'est allé aussi loin dans l'écriture du corps, et c'était ce qui me pertubait, comme tout ado qui se respecte, comme tout lecteur qui se respecte, voilà pourquoi les profs ont tellement raison de le lire à leurs élèves.
Mon prof de Français, lui, n'aurait je crois jamais osé nous parler de lui, pas à cause de son inspecteur, non, mais à cause de nous, enfin : mes camarades de classe, obsédés par leur moyenne pour intégrer HEC ou autres Maths Sup, et peu préoccupés de littérature.
Maintenant c'est mon fils qui entre au lycée dans quelques mois : sa prof de 3ème lui dit au revoir en lui parlant de Juliet, de Michaux, de Genet...
Emmanuelle Pagano.
Rédigé par : Emmanuelle Pagano | 24 avril 2006 à 13:39
Merci Emmanuelle de ce témoignage, très précieux... sur l'évolution du métier de prof, hélas si décrié !
Rédigé par : Eli Flory | 24 avril 2006 à 13:56
"On a fait la queue pour bouffer correctement. Et puis le magasin a été fermé par les autorités.
Le rangement des jambons dans la réserve m'a bousillé le dos.
Depuis quatre jours, je ne parviens plus à écouler mes stocks de viande séchée. C'est pas faute d'avoir fait des écriteaux affichées un peu partout dans la ville. Surtout en centre-ville."
La suite, si vous le souhaitez, sur http://hirsute.hautetfort.com
Rédigé par : Andy Verol | 24 avril 2006 à 22:42
Effectivement, l'anecdote d'Ely et le témoignage d'Emmanuelle sont très intéressants parce que vécus.
Pour ma part, mes profs ne m'en avaient jamais parlé, je l'ai moi aussi découvert le jour où on a annoncé sa mort. Si je me souviens bien, Françoise Giroud était chargée de la "nécro" télévisée et elle a dû trouver les mots justes - le contraste entre le "soufre" des propos et la très haute tenue de la langue - puisque j'ai eu aussitôt envie de m'y plonger et je ne l'ai pas regretté. Il y a dans ses livres, depuis Journal du Voleur jusqu'au Captif amoureux des phrases pour lesquels tout lecteur épris de littérature serait prêt à se damner !
Rédigé par : ramsis | 15 mai 2006 à 12:17
Tuons la censure ! Proclamons le royaume du bien et faisons taire les méchants pas gentils qui nous embêtent !
Rédigé par : Martyrologie | 27 mai 2006 à 20:41