Jour de rentrée des classes… Je veux familiariser mes élèves de troisième avec les types d’exercice qui leur seront donnés le jour du Brevet Je choisis, pour des raisons très subjectives, un texte de Grégoire Bouiller, tiré des annales 2005. Je n’ai pas lu le récit en question - Rapport sur moi - mais je me souviens de son deuxième livre L’invité mystère, où il raconte sa rencontre avec Sophie Calle.
Le texte que je soumets à la sagacité de mes élèves est très bien écrit et en adéquation avec les préoccupations d’un élève de collège. Voyez plutôt : Alors que l’école française vient de s’ouvrir à la mixité, Béatrice fait son entrée dans une classe de garçons. Tous tentent d’emporter ses faveurs. La jeune fille comprend très vite le parti qu’elle peut tirer de la situation. Ainsi, jamais elle ne porte son cartable, jamais elle ne fait ses devoirs… Seul le jeune Grégoire, écoeuré par ce marché de dupes, reste à l’écart : « Que m’importaient ses éblouissants sourires s’ils étaient la récompense d’un avilissement de caniche ? » Pourtant, c’est sur Grégoire que Béatrice va jeter son dévolu…
L’histoire est connue, et mes élèves sont ravis d’entrer dans les subtilités de la syntaxe et de la grammaire tout en pénétrant celle de la psyché féminine. En d’autres termes, et pour parler de manière plus prosaïque, ils sont davantage sensibles à la « la leçon de drague » qu’à la question épineuse des marques de l’ironie.
« Elle était une eau vive et, à la voir, on pouvait croire aux champs de mimosas en plein Paris. Elle n’était pas farouche […] »
J’attire leur attention sur la signification des points de suspension mis entre crochets, pour leur signaler que ce « signe » indique que le texte a été coupé. Puis, je leur demande de commenter l’image : sa poésie, sa sensualité etc. Nous discutons aussi de cette expression, tombée hélas en désuétude pour eux, « elle n’est pas farouche »… remplacée dans leur langue parfois indigente par le très courant « elle est bonne », « c’est une salope, une pute » etc.
Bref, je rentre chez moi enchantée, avec l’envie de me plonger dans le livre tout entier de Bouiller, que je pourrais faire étudier à mes élèves pendant l’année. Je relis le passage…
Voilà ce que j’y trouve :
« Elle était une eau vive et, à la voir, on pouvait croire aux champs de mimosas en plein Paris. Elle n’était pas farouche. Ses seins roulaient sur l’or» (C’est moi qui souligne)
Autrement dit, les âmes bien-pensantes qui ont préparé l’épreuve du Brevet ont cru bon de censurer cette phrase, je suppose à cause de l’allusion aux seins de Béatrice, au mépris de la tournure très éluardienne de l’image, des liens tissés avec l’évocation du mimosa, mais aussi de ce qu’elle éclaire la phrase suivante : « En présence de Béatrice, ils se répandaient en guimauve ; mais plaisantaient grassement dès qu’ils se retrouvaient entre eux. »
Pauvre France ! Pauvre Education nationale ! Et dire qu’il fut un temps où l’on lançait des pavés sur des cars de CRS devant la Sorbonne, et l'on voulait, en plus d’enterrer la France à Papa, jeter dans la fosse qu’on venait de creuser les Lagarde et Michard, jugés trop prudes !
À nous (profs d'AP), on nous demande de traiter "la question de la relation du corps à la production artistique" (programme de 3ème) en évitant de parler du "body art", compte tenu de l'âge des élèves, du fait qu'ils sont en pleine transition, etc. Pauvre éduc nat, oui.
Et quand des lycéens ont étudié un de mes textes, la prof lisait en faisant des crochets oraux sur certains passages...
Rédigé par : Emmanuelle | 14 septembre 2006 à 15:30
Bienvenues dans l'ère,(l'aire) du politiquement correct made in the US. Le rapport au corps certes, à condition de ne pas affoler les hormones de ces jeunes filles et garçons. Il ne faut surtout pas créer de situation qui pourrait provoquer des excitations considérées aujourd'hui comme de fort mauvais aloi. Des seins, des fesses, de la jouissance, point dans nos salles de cours, ni en littérature, ni ailleurs. On peit parler à la rigueur de reproduction et d'appareils génitaux.
Je me demande parfois comment les profs d'anglais s'en tirent avec Shakespeare et son célébrissisme Roméo et Juliette. Lèvres douces allant chercher l'ardeur du péché, corps embrassés, magie du désir.
Oui, l'éducation nationale va mal, ce n'est pas nouveau, le souci c'est qu'aujourd'hui, là comme ailleurs, on considère qu'il vaut mieux les abreuver de conneries capitalistes et de faits de guerres ou de religion, mais surtout les tenir loin, le plus loin possible des douces extases de la passion amoureuse.
Allez, le porno du samedi soir palliera à cette "transition".
Rédigé par : hecate | 20 septembre 2006 à 12:01
Je vois, ma chère Eli, que tu as bel et bien repris le chemin alléchant de l'école.
Pour moi, même si je souris à te lire, je ne suis pas mécontente de me trouver à des années lumière de la problématique qui est la tienne. A dire le vrai, je ne m'inquiète pas vraiment pour toi et je gage que ton talent (sans parler abruptement de ton sex appeal) saura pallier les aberrations et incompétences, désormais notoires, de L'Ed Nat.
PS: au fait, sais-tu que je suis définitivement installée en Corse ? (Je t'écris d'un cyber de Bastia...)
Rédigé par : Angèle Paoli | 29 septembre 2006 à 15:25
Et y'a pas qu'en France, que la pudibonderie fait des ravages (pendant que les "conneries capitalistes" ne connaissent aucune censure) voir ici :
http://www.opossum.ca/guitef/archives/003357.html
Rédigé par : Emmanuelle | 04 octobre 2006 à 07:27