Sélectionné sur la première liste du Prix Médicis étranger, le 13 septembre dernier, le très grand roman d’Abha Dawesar, Babyji, n’a pas été retenu au second tour… Qu’importe ! En avril 2007, Les Editions Héloïse d’Ormesson avait cédé les droits cinématographiques du roman de Tatiana de Rosnay (Elle s'appelait Sarah) à Stéphane Marsil pour le compte des société Hugo Films et Expériences films. L'adaptation devrait être écrite par l’excellent Serge Joncour et le film réalisé par Gilles Paquet- Brenner. Aujourd’hui, Eho remet ça, en cédant les droits d’adaptation cinématographique du roman d’Abha Dawesar à Claude Berri. L’irrésistible ascension de cette jeune écrivain se poursuit… Ici, on est aux anges !
Quel accueil la critique indienne a-t-elle réservé à Babyji lors de sa sortie en 2005 ?
Le livre est sorti en Inde en même temps qu’aux Etats-Unis. Je m’attendais au pire. Au final, mon roman a été bien accueilli par la presse indienne. C’est plutôt mon premier roman (Miniplanner), l’histoire d’un gay blanc à New York, qui avait choqué. Il contenait des scènes de sexe très explicites. On m’avait baptisée alors « l’enfant terrible de la littérature ». Pour mon troisième roman à paraître en France (That summer in Paris), ça continue… Le mot de « sexe » est à la bouche de beaucoup. Les médias ont besoin de classer les écrivains… En France pourtant, j’ai eu de très bonnes critiques, qui ne se sont pas focalisées uniquement sur la sexualité lesbienne de l’héroïne.
Pourtant, le film Fire de Deepa Mehta sorti en 1998, qui abordait le thème de l'homosexualité féminine en Inde, avait été violemment critiqué. Ses contempteurs lui avaient notamment reproché d’aborder l’érotisme entre femmes, perversion venue de cultures étrangères, contraire à la religion hindouiste. De nombreuses salles avaient été attaquées lors de la projection du film…
Ce film avait fait scandale dans une seule salle de cinéma, à Delhi, scandale politiquement motivé, commandé par la droite indienne. Il faut savoir que le cinéma est un médium qui touche beaucoup plus d’Indiens, puisque 50% de la population indienne ne lit pas. Parmi les 50% restants, peu sont ceux qui lisent l’anglais. D’autre part, le public lettré et anglophone est plus ouvert d’esprit. Voilà une des raisons pour lesquelles le livre a trouvé ses lecteurs sans susciter de remous.
Vous dites vous-même que l’homosexualité n’est pas le thème principal du roman…
C’est exact… C’est seulement une manière pour Babyji, l’héroïne, de mieux comprendre le statut des femmes en Inde et de trouver celle qu’elle veut être. C’est avant tout un roman qui traite d’une adolescente qui vit en Inde à une époque où les jeunes se demandent s’ils demeureront dans leur pays ou s’ils s’expatrieront pour vivre plus libres.
J’entretiens souvent l’ambiguïté dans mes descriptions : parle-t-elle de l’Inde ? de la femme ? Les notions de Mère-Patrie et celle du féminin ne font qu’une. En Inde, il n’y a pas d’homogénéité du corps social et identitaire, mais une grande diversité. On n’est pas indien parce qu’on parle la même langue, parce que l’on mange la même cuisine, parce que l’on porte les mêmes saris. On est indien parce qu’on habite en Inde ! La géographie du pays est sacrée, comme peut l’être le corps féminin. De plus, il y a une dimension très physique dans les rapports sentimentaux entre les gens, comme dans la politique : regardez ces étudiants qui se sont immolés lors des manifestations contre le gouvernement. En réponse à la violence exercée par le système politique des castes, ils sacrifient leur intégrité physique…
La jeunesse indienne est-elle victime d’une société encore très puritaine ?
En Inde, il faut vivre caché en permanence. Il y a une certaine dose d’hypocrisie, nécessaire sans doute à la vie en société, même si les choses sont en train de changer selon la classe sociale à laquelle notre famille appartient
Les jeunes habitent chez leurs parents jusqu’à ce qu’ils se marient. On doit le respect aux règles du patriarcat. Mais l’ouverture économique a influencé les mentalités. Elle permet aux jeunes de prendre leur indépendance plus précocement. D’autre part, dans les grandes villes, presque toutes les femmes travaillent maintenant. Elles ne sont plus obligées de se marier pour subvenir à leurs besoins, et osent divorcer.
La grande classe moyenne est très consommatrice. Quand on détient le pouvoir d’acheter, on s’individualise. La famille reste toujours une valeur très importante mais les jeunes veulent aussi des satisfactions qui leur soient personnelles.
Comment le manuscrit de Babyji est-il arrivé entre les mains d’Héloïse d’Ormesson ?
Mes agents avaient contacté quelques grandes maisons d’édition françaises… Sans réponse !
Fruits de hasard, une de mes amies écrivains, qui vit à Paris, avait lu le livre avant sa sortie aux States. Parce qu’elle avait apprécié mon travail, c’est elle qui en a parlé la première fois à Héloïse d’Ormesson. J’étais à l’époque en train d’écrire mon troisième roman. De mon côté, j’avais rencontré l’ambassadeur de France en Inde lors d’une réception. Lui aussi n’avait eu de cesse de s’étonner que Babyji ne fût pas encore traduit dans son pays. Par hasard encore, il dînait quelques semaines plus tard en train de dîner avec Gilles Cohen-Solal, le compagnon d’Héloïse, place de la Contrescarpe. Le « sujet Abha Dawesar » est revenu sur le tapis, pour de bon cette fois. A mon arrivée à Paris, j’étais en possession de mes deux manuscrits, mais j’ai perdu mes valises et That summer in Paris était dedans. C’est Babyji qui a vu le jour !
Quels sont vos projets ?
Encore des livres, mais aussi un petit film documentaire, qui consiste en des entretiens avec des gens rencontrés dans la rue.
Le travail de l’écrivain, c’est la solitude. Ce documentaire, c’est pour moi une manière de trouver un équilibre, de connaître des gens qui n’appartiennent pas au même milieu que moi, d’avoir de vrais échanges avec ceux qui ne font pas partie de « l’economic boom ».
Propos recueillis en avril 2007 par Eli Flory.
Pour contacter Abha Dawesar
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