À l’époque où le marketing ne sait plus à quels seins se vouer pour vendre du papier ou des biens de consommation courante, où la tyrannie de la jouissance l’emporte sur la recherche du plaisir et sur la connaissance des corps, « libertiner » n’est plus de mise. Que demeure-t-il du libertinage, quarante ans après la révolution sexuelle reichienne, du temps où un André Hardellet prédisait que "la révolution se ferait aussi grâce à la main, la douce main de ma sœur dans le pantalon du militaire." ? Des accroches racoleuses en première de couverture des magazines, pâles dérivatifs à la lecture, délaissée pour d’autres secteurs de l’entertainment. Les moteurs de recherche, qui se sont substitués aux index encyclopédiques apportent un début de réponse. Tapons du bout du doigt le mot de « libertin » sur notre clavier… L’avatar moderne d’un Valmont ou d’un Versac ? L’échangiste, le partouzeur, le faux-monnayeur du plaisir charnel. Swann avait bien raison de se demander ce que l’on pouvait échanger dans ces moments-là, dits de « possession physique », alors que l’autre ne nous appartient jamais. À l’heure du libre-échange érigé en art d’aimer, le sexe de l’autre devient monnaie courante, monnaie d’échange, monnaie de singe… Le libertinage se réduit à des « plans coquins et pas chers entre gens de bonne compagnie. » Au final, post coïtum animal triste…
La véritable révolution, en tous les domaines, fut celle accomplie durant le siècle des Lumières. Révolution dans les alcôves ET dans les bibliothèques, quand la littérature libertine envahit le champ du littéraire.
Le second tome de la Pléiade, Romanciers libertins du XVIIIe siècle, dirigé par Patrick Wald Lasowski, paru cinq ans après le premier, en poursuit l’exploration. Le libertin est l’enfant du siècle, où l’après ne sera jamais plus comme l’avant. Rien de ce qui est humain n’échappe à la pensée encyclopédique. Dans le jargon de la Librairie, on appelle « ouvrages philosophiques » les romans obscènes et licencieux » : « Le plaisir, fait d’expérience et objet de savoir devient une discipline qui interpelle la morale, l’histoire des sciences, la réflexion sociale et politique. » La Mettrie, médecin philosophe écrit en 1747 L’Ecole de la volupté et en 1751 L’art de jouir. Le Diderot de l’Encyclopédie, comme le Mirabeau de l’Erotika Biblion voient dans le libertin celui qui « trompe la nature en détournant la jouissance des fins de reproduction sexuelle auxquelles elle doit servir.» Si l’on en croit le Dictionnaire critique, pittoresque et sentencieux du marquis de Caraccioli, paru en 1768, l’accusation d’impiété, lancée à la figure du libertin, est d’un autre temps. Reste le débauché… Autres temps, autres mœurs ?
Dans la langue classique, le libertinage vise une liberté prise à l’égard des règles de la morale et des dogmes de la religion, jusqu’à la licence poétique. Le Dictionnaire des jésuites de Trévoux souligne le « peu de respect que l’on a pour les mystères de la religion. » Le libertin, nous dit encore Trévoux, est celui « qui prend, qui se donne trop de liberté, qui ne veut pas s’assujettir aux lois, aux règles du bien-vivre. » On retrouve cette acception politique au XXe siècle : le refus des règles, de l’honnêteté et de la bienséance a vite fait glisser le libertinage du côté de la « débauche », du « désordre », « du dérèglement des mœurs». La faveur des Liaisons dangereuses, par exemple, dans les années 1945-1950 vient de ce que l’on approche le libertinage sous l’angle de la libération politique et sexuelle. Engouement qui vérifie l’intuition baudelairienne selon laquelle « la révolution a été faite par des voluptueux ». La voluptueuse marquise de Merteuil, révolutionnaire en jupons, est aussi complexe que son alter ego masculin, le roué Valmont : celle qui, dans la lettre LXXXI, expose ses règles et ses principes, ne se réduit-elle qu’à une libertine calculatrice ? Elle incarne une certaine posture féministe avant la date celle qui refuse d'être mangée à la même sauce qu'une Cécile Volanges ! Sa chute, elle l'a doit tout autant à l'amour qu'elle éprouve pour Valmont, qu'à l'amour-propre qui l'a fait mener une guerre des sexes sans pitié ni trêve. Et Laclos s'y connaît en plans de bataille, lui qui a combattu aux côtés de Vauban : sous sa tente militaire, il écrivait à sa femme, jeune maman, des lettres sur l'éducation à donner aux jeunes filles ! Cette machine infernale qu’est le roman de Laclos ne mène pas uniquement au délétère de la mort, assumée ou symbolique : cinq ans après la publication de l'ouvrage, 1789 saura rappeler que les littérateurs sont d'abord des visionnaires, avec leurs "théâtres de la cruauté". La figure du libertin va évoluer avec celle de l’affranchi qu’il était dans le droit romain. Libertinus, « l’enfant d’affranchi » deviendra celui « qui vit en marge des lois » : turlupins, pauliciens, adamistes, picards zélateurs du Brabant, protestants, athées, déistes, puis amateurs de vins et de bacchanales, prostituées, sodomites et gomorrhéennes, zoophiles…
Seriez-vous intéressé(e) par MONTER LA VIE A CRU, un roman que je viens de publier chez Mon Petit Editeur? Il raconte comment une femme trompée s'affranchit, incitée en cela par son mari, du serment de fidélité?
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Rédigé par : Georges Lautier | 27 septembre 2011 à 06:45