Médias : la dérive concentrationnaire
Quand en 1999 sort en France l’Edition sans éditeurs, grâce au travail des éditeurs de La Fabrique, l’essai d’André Schiffrin, sorte de nouveau « Prince » qui « s’adresse au public français », la réaction est unanime : « Jamais ça en France ! » Les sommités du groupe Lagardère montent au créneau, via la presse autorisée comme le Monde, pour assurer qu’on ne verra jamais en France, au pays des Lumières, l’édition se faire phagocyter par le monstre de l’entertainment. A l’époque, Schiffrin lui-même écrit dans l’Edition sans éditeurs : « En France, il existe aussi une forte concentration avec deux grands groupes, Hachette et Vivendi/Havas, qui publient environ 60% de la production du pays. Mais la différence majeure entre la France et les Etats-Unis ne tient pas aux chiffres. Elle tient à l’importance et à la qualité des livres publiés. Beaucoup de livres de valeur paraissant en France proviennent encore de maisons autonomes, souvent familiales. Les plus prestigieuses – Gallimard, Le Seuil, Minuit, Flammarion – sont encore indépendantes des conglomérats, même si la structure de leur capital rend parfois cette indépendance fragile »… Depuis, Flammarion a été acheté par l’italien Rizzoli, qui appartient à RCS Mediagroup - et Charles-Henri Flammarion évincé -, le Seuil, comme chacun sait, s’est fait absorber par Hervé de la Martinière, lui-même très inféodé aux intérêts de la famille Wertheimer. Quant au groupe Hachette – le bien nommé – qui riait quand Schiffrin criait au loup, le fiasco des ambitions de notre tycoon national, Jean-Marie Messier, l’aurait placé en situation de monopole si Bruxelles n’était pas intervenu. Obligé de céder 61% d’Editis, nouveau nom de Vivendi Universal Publishing, le groupe Lagardère les a livrés à Wendel, « immense groupe d’investissement industriel dirigé par le baron Ernest Antoine Seillière, président du MEDEF »… Face à ce cataclysme, Schiffrin écrit en 2004 : « Les bouleversements de l’édition en France et ailleurs vont bien au-delà de ce que j’aurais pu prévoir à mes moments les plus pessimistes » : deux des trois éditeurs de l’édition française « appartiennent désormais à des fonds de placement. »
Mais la réflexion initiée par Schiffrin excède le domaine de la pensée économique pour pénétrer les sphères du politique et de l’éthique. Ce qui préoccupe surtout Schiffrin, c’est l’inertie et l’entropie des médias français. Les « médias », selon la définition donnée par le dictionnaire, c’est « l’ensemble des techniques et des supports de diffusion massive de l’information massive de l’information et de la culture. » Or, dans cet univers impitoyable où le monopole des grands groupes permet la « promotion croisée des produits médias grand public développés par le groupe, à travers ses principaux relais de communication », il se trouve que les différents organes de presse appartiennent à 70% à Lagardère et à Dassault, après que ce dernier, via la Socpresse, a acquis le groupe l’Express/L’Expansion, laissé pour mort par Jean-Marie Messier. Et le cercle devient vicieux…
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