À l’époque où les trois quarts de la population liseuse française criaient au génie « Philippe Claudel », après la sortie des Âmes grises, j’étais pour ma part restée sur ma faim. Ce livre, qui avait à mes yeux la patine des meubles made in Taïwan, la saveur des galettes de la mère Poulard était un custom parfaitement réussi, comme une paire de jeans javellisée pour donner l’illusion du temps qui passe.
Tout y était très bien fait, le récit mené avec maestria, les horizons d’attente de l’afficionado de l’imagination romanesque comblés. Roman riche de sens, certes, où l’entrelacs thématique fonctionnait à merveille. La fin du livre était très intelligente, en ce qu’elle laissait subsister une part d’indécision. La scène de torture du pauvre déserteur, un bijou qui remuait les tripes jusqu’à la nausée. Mais voilà, c’était trop beau pour être honnête. Du style mais pas de voix propre et personnelle. Une manière d’écrire formatée, qui sentait l’atelier d’écriture à cent lieues à la ronde. Claudel, un artisan du verbe, sérieux et appliqué, consciencieux… mais sûrement pas un orfèvre ni un créateur de génie.
Certains passages restaient très émouvants… mais les larmes, comme le mélange des niveaux de langue et une morale à deux francs six sous, je la rappelle pour mémoire – « Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu. Rien n’est ni tout noir, ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. » - étaient le fruit d’un cahier des charges bien rôdé. Bref, un pathos digne des grandes sagas familiales, diffusées en deux parties, au mois de juillet, sur les chaînes de grande audience.
Plaisir du texte sans jouissance…
Hier soir, entre chien et loup, les premières lignes de Meuse l’oubli, un des premiers romans de Philippe Claudel paru en 1999, m’ont réconciliée avec lui :
Les commentaires récents