Enrique Vila-Matas, dans Mastroianni-sur-mer, attribue sa vocation d’écrivain à un film d’Antonioni, qu’il aurait vu à 17 ans, La Notte. Si l’emploi du conditionnel est souvent de mise avec Vila-Matas, qui embrouille bien volontiers les fils de la fiction à ceux de la réalité (à se demander parfois si c’est de l’art ou du cochon), il n’empêche que l’écrivain incarné par le beau Marcello fascine le jeune homme qu’il est, deux ans seulement avant qu’il ne devienne le pensionnaire de Marguerite Duras à Paris : les cols de chemise de Giovanni Pontano, l’écrivain à succès, sont impeccablement repassés, il possède une voiture, sa femme, jouée par Jeanne Moreau, est d’une beauté intelligente. En deux mots, « c’est quelqu’un ». Vila-Matas s’arrête à l’aisance du personnage, pour découvrir à l’âge adulte que l’écrivain est aussi celui qui ECRIT : partant, il appartient à la « famille des taupes qui vivent dans des galeries souterraines, travaillant jour et nuit ». (E. Vila-Matas, Mastroianni-sur-Mer, Editions du passage Nord/Ouest, p.41)
Cette vie de taupe, Henri Calet, à qui la Quinzaine littéraire rend hommage, ne l’a pas connue seulement parce qu’il a écrit trois romans en cinq ans. Mais aussi parce que, du temps où il s’occupait de chiffres plutôt que de mots – il était aide-comptable à la société de l’électro-Câble – l’idée romanesque lui vint de s’enfuir avec le tiroir-caisse, 230 000francs en tout, soit dix ans de salaire... qui au lieu de faire sa fortune manquèrent de peu de le précipiter dans le malheur. Londres, Montevideo - où il devient Henri Calet après avoir changé le passeport qui portait son nom de baptême, Raymond Théodore Barthelmess -, puis Berlin et enfin Paris, où Calet échoue dans une petite chambre derrière les Buttes-Chaumont, dessinent le parcours de l'écrivain en cavale. Là, il ne se soustrait pas seulement à la justice française, mais joue aussi à cache-cache avec la mort…
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