Dans de nombreuses cultures, la communauté des lecteurs a longtemps joui d’une réputation ambiguë, fruit de son autorité acquise et d’un pouvoir entr’aperçu que l’on jalousait. Si l’on s’accordait pour deviner dans la relation entre un lecteur et un livre quelque chose de sage et de profitable, on la trouvait aussi dédaigneusement élitiste et exclusive, « peut-être parce que l’image d’un individu pelotonné dans un coin, oublieux en apparence des grondements du monde, suggère une intimité impénétrable, un œil égoïste et une occupation singulière et cachottière ». Ces mots d’Alberto Manguel rappellent la charge subversive de l’acte de lire, et a fortiori de celui d’écrire, charge combattue par tous les totalitarismes. Le patriarcat en fut un, et les liseuses, comme les « femmes auteurs » ont longtemps été en butte à l’hostilité masculine. Discriminées en vertu des contraintes de leur sexe biologique et du rôle qui en découlait, les femmes, objets d’innombrables discours, ont dû lutter âprement pour en devenir les auteurs et livrer leur regard sur le monde. Virginia Woolf, à laquelle on avait demandé de « parler des femmes et du roman », avouait son impuissance face à ce sujet si vaste et complexe. « En guise de dédommagement », pour ne pas décevoir son auditoire, elle avait préférer donner son opinion sur ce qu’elle nommait « un point de détail » : « Il est indispensable qu’une femme possède quelque argent et une chambre à soi si elle veut écrire une œuvre de fiction. » (Une chambre à soi, 2003, Bibliothèques 10/18)
Femme, tu ne liras et n’écriras point
« - Sais-tu ce qu'il faudrait à ta femme ? reprenait la mère Bovary. Ce seraient des occupations forcées, des ouvrages manuels ! Si elle était comme tant d'autres, contrainte à gagner son pain, elle n'aurait pas ces vapeurs-là, qui lui viennent d'un tas d'idées qu'elle se fourre dans la tête, et du désoeuvrement où elle vit.
- Pourtant elle s'occupe, disait Charles.
- Ah ! Elle s'occupe ! A quoi donc ? A lire des romans, de mauvais livres, des ouvrages qui sont contre la religion et dans lesquels on se moque des prêtres par des discours tirés de Voltaire. Mais tout cela va loin, mon pauvre enfant, et quelqu'un qui n'a pas de religion finit toujours par tourner mal.
Donc, il fut résolu que l'on empêcherait Emma de lire des romans. » (Gustave Flaubert, Madame Bovary, II, 7)
Les commentaires récents